Ferracci, une œuvre connue par quelques uns et vue par beaucoup.

Cette phrase est issue de la préface du livre qui a été consacré à l’affichiste, par Yves Rousset-Rouard, producteur de films à succès entre 1970 et la fin des années 1990.

En effet, René Ferracci a collaboré sur une très longue période avec les plus grands cinéastes, de Henri-Georges Clouzot (“Le salaire de la peur” en 1952) à Jean-Jacques Beineix (“Diva” en 1981).

Une œuvre vaste, foisonnante, souvent médiocre mais aussi géniale. Un artiste qui aura livré des centaines d’affiches et quelques dizaines de créations cultes inscrites dans nos mémoires de cinéphiles.
Cette grande diversité de production participe à la singularité de Ferracci.

Trois exemples d’affiches, révélatrices de la diversité de création

Exemples de productions graphiques au service d’un cinéma très populaire !

Du cinéma populaire au cinéma d’auteur

René Ferracci sera l’affichiste à la fois des comédies les plus médiocres des années 70, ou des nanars les plus célèbres de ces mêmes années. Il sera aussi l’affichiste des plus grands noms du cinéma international et du cinéma d’auteur.

Il signera l’affiche du magnifique “Casanova” de Fellini, nombre d’affiches de Jaques Tati, Bunuel ou Patrice Chéreau, ainsi que les deux superbes affiches de “Baisers volés” de François Truffaut sur lesquelles se répondent les personnages de Jean-Pierre Léaud et Claude Jade (plus décevantes seront les affiches des deux autres films de la trilogie).

Quelques exemples des plus belles productions de René Ferracci, avec la triologie des films de Luis Bunuel.
La très belle illustration du Casanova de Fellini ou encore l’affiche de Tess de Roman Polanski.

L’affiche du premier volet de la trilogie des aventures d’Antoine Doinel, est une vraie réussite. Les 2 personnages se répondent magnifiquement d’une affiche à l’autre. La technique de la gouache, souvent utilisée par Ferracci, poétise magnifiquement l’ensemble.

Ferracci entre publicité et cinéma

René Ferracci débute sa carrière dans un contexte particulièrement propice dans cette France de l’après-guerre. Il contrôle dès 1957 au sein de la société de production et de distribution Cinédis, la publicité et la diffusion de l’image des films. Quand en 1963, la société ferme ses porte, Ferracci se lance alors en indépendant, comme nous dirions aujourd’hui. Grâce à ses relations nouées au sein de son ancienne société, il établit des liens directs avec metteurs en scène, producteurs et distributeurs. Son expérience en tant que publicitaire lui permettra lui tard d’appréhender au mieux les contraintes des distributeurs de films.

La lithographie au temps de l’affiche

Inventée en 1796, la lithographie est considérée comment une méthode artistique d’impression à part entière. Elle consiste à multiplier un dessin en l’imprimant directement sur du papier au moyen d’une plaque en pierre ou en métal souvent en zinc. L’artiste peint une image sur la plaque avec une substance qui attire les encres à base d’huile. De l’eau est utilisée pour les autres parties, pour sa capacité à repousser l’encre. La plaque est alors pressée contre le papier, étape finale de l’impression. D’habitude, seul un nombre convenu de lithographies sont réalisées avec une même plaque. Une lithographie étant produite dans des quantités limitées, elle aura une valeur significative.

A l’époque donc, les affiches sont imprimées en lithographie sur zinc, ce qui signifie qu’il faut pour passer du dessin à l’imprimé, réaliser une maquette au format définitif : 120×160 cm ! Un véritable travail de titan notamment sur la sélection des couleurs.
Une des affiches de René Ferracci qui constituera un véritable défi, est le “Napoléon” de Sacha Guitry, réalisée en lithographie et qui reste magistralement graphique malgré les contraintes de distribution : pas mois de 35 stars à faire figurer au générique !
Ferracci innovera par la suite, avec la technique mixte du dessin et du photomontage comme pour ces deux exemples avec Jean Gabin.

Les grandes mutations de l’imprimerie

A la fin des années 50, dans un besoin de réalisme revendiqué, la photo va prendre le pas sur l’illustration dans l’affiche de cinéma. Par ailleurs,  l’offset se substitue à la lithographie. Finies les maquettes géantes en taille réelle. Les maquettes d’affiche sont plus petites et permettent  l’utilisation de toutes les techniques : photographie, gouache, crayon, aquarelle, pastel, aérographe…
Cette liberté de création ouvre de larges espaces dans lesquels René Ferracci va se révéler plus que tout autre.

La révolution de la technique sera sa révolution créative personnelle.

Son interêt pour ces techniques offertes par les nouvelles méthodes d’impression et l’immense curiosité de Ferraccci font de lui une véritable éponge qui s’imprègne de tous les courants et influences qui circulent. L’offset et le réalisme qu’il permet, trouvera une résonance avec les films de la Nouvelle Vague. Ils sont souvent tournés en extérieur loin des studios pour coller à la réalité de l’époque. Dans le même temps, les représentants les plus emblématiques de cette période, comme François Truffaut boude la lithographie associée au tirages luxueux des artistes confirmés.

Dans l’exemple de l’affiche de Jean-Pierre Melville, l’impact est très fort. Ferracci joue sur les contrastes de couleur : noir, blanc et rouge en évoquant le japon uniquement dans ce rapport de couleur.

La technique du collage, emblématique d’une grande partie de l’œuvre de René Ferracci

Les contraintes liées au film

Renée Ferracci va devoir se plier et répondre aux multiples contraintes fixées par le commanditaire et respecter celles liées aux aspects contractuels des metteurs en scène, acteurs, producteurs, scénaristes…! Le décideur pour la version finale de l’affiche est le distributeur. C’est lui que Ferracci devra convaincre car c’est à lui que revient la mission de distribuer, donc de vendre le film.

Malheureusement les impératifs commerciaux prendront souvent le pas sur la créativité et le talent. En témoignent ces deux affiches de films ambitieux aux acteurs et réalisateurs de renom, mais particulièrement ratées sur le plan graphique, car soumises notamment à la nécessité de faire figurer l’ensemble du casting dans un ordre strictement encadré.

Le diktat de la commande

Malheureusement, dans le processus de création d’une affiche de cinéma, l’art joue un rôle assez mineur contrairement à la grande liberté de création qui caractérise les affiches de théâtre ! La fameuse exception culturelle française n’a pas totalement sa place en matière d’affiche de cinéma. Le film est avant tout un objet de divertissement à fort enjeu financier qu’il faut vendre !
La commande, qui encore une fois émane du distributeur, est confiée au publicitaire qui fera appel à son affichiste. Le support de l’affiche s’inscrit dans un large processus de promotion du film.

Le terme de “Canigou Publicitaire” est employé par René Ferracci pour évoquer cette partie de son travail, une fois que les projets d’affiches sont remis au commanditaire.

Lors de la première présentation des projets, sont présents, distributeurs, producteurs, acteurs (selon leur notoriété), metteurs en scènes, scénaristes. Leur pouvoir de décision se mesure à leur poids financier et se pondère avec les obligations contractuelles défendues par leurs agents (taille du nom du comédien sur l’affiche, notamment). Autant de contraintes propres à dénaturer le projet.
Souvent, les films plus “confidentiels” sans grandes vedettes, offrent beaucoup plus de liberté en matière de création.

Voici une petite sélection de projets inédits refusés au profit de productions très décevantes.

Les influences

Les plus belles affiches de René Ferracci, trouvent souvent leur inspiration dans la littérature, la peinture ou les arts graphiques.
Principalement pour les affiches de Luis Bunuel, citées plus haut. Elles font référence au Surréalisme, mouvement auquel à participé le cinéaste. Le procédé créatif utilisé renvoie à l’écriture automatique ou au jeu du cadavre exquis théorisés par André Breton.
La réussite est totale, tant du point de vue de l’impact visuel que de la cohérence avec l’univers du cinéaste.
Un autre exemple avec une maquette de la Nuit de Varennes, refusée par Ettore Scola, car l’allusion au peintre de Chirico décalait selon lui, le propos du film.
Encore un exemple avec la très belle création pour L’Étoile du Nord”, dont la référence à l’affiche du célèbre Cassandre est évidente.

La spécificité de Ferracci

La production de Ferracci se distingue de deux façons : la quantité et la diversité de style.
Pour ce qui est de la quantité, sa production étant immense, un grand nombre de ses affiches ne présente aucun intérêt, alors que pour les plus grands films, son œuvre reste majeure. La diversité de style, critiquée par certains est paradoxalement sa marque de fabrique.

De ses premières affiches, aux montages photos en passant par les illustrations à la gouache ou au crayon, il fait peau neuve à chaque nouveau projet. Sa force est précisément de s’adapter, en contournant autant que possible les contraintes et en s’adaptant à l’univers du cinéaste. Les plus grands noms du cinéma lui ont fait confiance et ont réussi parfois à imposer aux distributeurs leur choix esthétique. Comme Roman Polanski avec l’affiche de “Tess”, magnifique de sobriété. Les affiches pour les films de Luis Bunuel sont de sublimes adaptations graphiques de l’univers du cinéaste.

On retiendra aussi de Ferracci, ses affiches les plus poétiques, celles réalisées au crayon et ses affiches cultes à la grande force graphique.

Et le César de la meilleure affiche est…

A une époque où les César récompensaient aussi les meilleures affiches, René Ferracci obtiendra le César d’honneur en 1986 à titre posthume et le Musée des Arts Décoratifs lui consacrera une magnifique rétrospective en 1990.
Ses productions continuent de peupler notre imaginaire de cinéma, comme avec l’affiche du célèbre “Dernier métro” de François Truffaut

Cliquez sur l’icône Pinterest pour voir encore plus d’affiches.

Remerciements : “Ferracci, affichiste de cinéma” aux éditions Albin Michel

Vous souhaitez recevoir la newsletter…

Renseignez votre adresse mail afin de recevoir la newsletter mensuelle :
Actus graphiques, blog design et communication, livres blancs…

Vous venez d'être ajouté à la liste